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LE DEUIL D’UNE JEUNE ADULTE AIDANTE

Au téléphone avec ma belle-sœur, le jour du 1er anniversaire de ma nièce. Après une longue rétrospective de l’année éprouvante que l’on vient de traverser, un silence s’installe, comme si l’on prenait conscience des mots que l’on venait de prononcer. “En fait Irène, t’es un ovni”. Le silence se brise par des éclats de rire. Moi, un ovni ?  

Je m’appelle Irène, j’ai 25 ans et voici un bout de mon histoire que je partage dans l’espoir de soutenir celles et ceux qui aujourd’hui traversent cette même situation. Afin que cette plateforme soit un lieu de bienveillance entre jeunes adultes aidants, qui se comprennent, où chacun trouve le soutien dont il a besoin.  

Le 14 novembre 2022, ma maman est décédée, et depuis lors, j’intrigue ma famille et mon entourage par ma gestion du deuil.  

J’ai toujours mis cela sur le seul compte de ma foi. C’est vrai que l’appréhension de la mort est différente dans le christianisme. Elle n’existe pas, elle n’est que la continuité de la vie, sous une autre forme, éternelle. La mort n’est pas la fin, mais le commencement d’une histoire qui elle s’inscrit dans l’éternité. Cela n’empêche évidemment pas d’être triste de la perte d’une maman, si jeune, si tôt. Simplement, la foi amène une autre perceptive d’approche à laquelle je me suis totalement identifiée et qui me permet d’alléger le fardeau du deuil. Les larmes font désormais parties du quotidien mais la certitude absolue qu’elles sont récoltées par Dieu, qui les a conçues pour libérer notre coeur du trop-plein de tristesse me permet de les accepter, voire de les apprivoiser. Savoir que l’amour que l’on se porte les uns aux autres n’est qu’un avant-goût minime de l’amour que Dieu a pour nous me rassure. Je l’ai tant aimé, ma maman, alors, à combien plus forte raison Dieu prend soin d’elle encore maintenant et ce, pour l’éternité.  

J’ai également pris conscience qu’un second facteur entrait en jeu : ma qualité de jeune adulte aidante. Depuis mes 7 ans, ma maman souffrait d’un cancer. Bien que j’ai grandi dans cette réalité, ce n’est toutefois qu’à mes 18 ans que j’endosse pleinement le rôle d’aidante. Au début, c’était uniquement par période, chaque été à partir de juin lorsque son traitement cessait de fonctionner, la plongeant dans d’atroces douleurs physiques très handicapantes. En septembre, une fois que les ajustements médicamenteux avaient été fait, la vie reprenait à peu près son court normal. Et ce, jusqu’au premier confinement où les choses ont pris un autre tournant. Mon aide, tant physique que morale est devenue quotidienne, et ce, tout au long de l’année.   

D’un côté, le fait d’avoir accompagné seule, physiquement, mentalement et spirituellement ma maman tout au long de ses dernières années m’a permis d’appréhender son décès comme la suite logique d’une belle histoire. Chaque étape qu’elle franchissait, était une étape que l’on franchissait ensemble. C’était un combat que l’on menait à deux, chaque seconde de la nuit et du jour. Il s’agissait bien plus que d’une simple relation fusionnelle mère / fille. On menait un même combat. Une même quête. Comme si l’on se préparait mutuellement à cette finalité. Bien que jamais la question de son décès n’ait été évoquée dans nos conversations, par ce qu’elle nous était inconcevable et que l’on croyait fermement qu’un millier d’autres issues étaient possibles. Pourtant in fine, on était prêtes. Contre toute attente. Contre toute logique. On était prêtes. C’est sans doute ça qui est à l’origine de ma qualification « d’ovni ». Alors que mon entourage s’attendait à ce que je m’effondre, le fait d’avoir eu la chance d’accompagner ma maman jusqu’à son dernier souffle a été, et reste ma plus grande force. Comme si nous étions allées ensemble, jusqu’au bout. Il faut prendre conscience de la grande force que l’aidance peut créer en nous sur ce point.  

 

D’un autre côté, perdre la personne « aidée » ajoute une autre dimension au deuil que la « seule » perte de sa maman. L’aidance devient notre norme, notre repère. Tout le reste est secondaire. Les études deviennent un gage de bonne conscience d’avancer dans sa propre vie. La réalité est que mes pensées, mes actes, mes projets, mes envies sont tous guidés par cette condition. La perte de la personne aidée engendre un chamboulement total de normalité. On pourrait penser qu’il s’agit là d’une liberté retrouvée. Mais bien avant de se sentir libre de quoi que ce soit, il faut se sentir, soi. C’est sans doute cette part du deuil qui est la plus difficile. Avec les mois, les années passées dans une dimension parallèle, les goûts ont changés, les envies aussi, et la vision de la vie n’est plus du tout la même. Et je me retrouve face à ma vie, simplement la mienne, dénudée de ce qui en constituait l’essence même et peuplée de jalons que j’avais posé au fur et à mesure des années sans y donner tant d’importance. Qui suis-je si je ne suis plus aidante ? C’est sur ce point que ma foi m’a sauvée. C’est en plaçant mon identité en quelque chose de plus grand et d’immuable que j’ai pu petit à petit me reconstruire. Mais la reconstruction est longue, et lente.  

Avoir vu la mort et la souffrance de si près, pendant si longtemps, engendre aussi un détachement d’intérêt pour les choses simples de la vie.  

Il faut donc tout réapprendre.  

Retrouver le goût pour les choses faciles, simples. Retrouver un sens à une vie qui n’est pas centrée sur le combat d’une maladie. C’est ce second aspect, singulier de jeunes adultes aidant qui est à mon sens le plus difficilement compréhensible par l’entourage et dans lequel on peut éprouver une profonde solitude.  

L’idée de participer à cette plateforme m’a alors beaucoup plu, pour partager mon histoire, et apprendre de celle des autres. Car des personnes dans la même situation que moi, il y en a en réalité beaucoup.  

Créer une communauté qui se comprend et qui se soutient dans cette épreuve de la vie m’est alors apparue essentielle.  

Bien que le deuil soit encore une expérience récente pour moi, et qu’elle soit très différente pour chacun, je me sens libre et capable d’en discuter avec toute personne qui en sentirai le besoin via cette plateforme. Parce que des témoignages il y en a pleins, et malgré la douleur de l’épreuve, in fine on s’en sort toujours. Alors gardons espoir d’un lendemain renouvelé, d’une vie allégée et remplie de joie.  

« Tu as transformé mes pleurs en une danse de joie, et tu m’as ôté mes habits de deuil pour me revêtir d’un habit de fête » (Ps 30:12)

@ Cancer, notre soutien aux proches aidants

@aider un proche malade de cancer

@le deuil blanc

@le deuil à 20 ans 

Commentaires

Une réponse à “LE DEUIL D’UNE JEUNE ADULTE AIDANTE”

  1. Léa TALRICH dit :

    Merci ma jolie belle sœur pour ces mots éclairés, justes et éclairant sur ton vécu. Peut-être que tu as plus du Volant que du Non Identifié, mais ton courage reste indéfinissable. Force et honneur, paix et amour. Σ’αγαπώ.

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Un bénéfice de l’aidance ? Il est facile d’imaginer le fardeau de l’aidance dans le quotidien des jeunes. Aider quelqu’un, cela prend du temps et de l’énergie. Pour autant, n’est-il pas envisageable que cette aidance constitue une expérience positive ? Dans la littérature, les conséquences négatives de cette dernière sont largement étudiées et reportées. L’aidance est, entre autres, associée à une moins bonne santé mentale et physique, une moins bonne qualité de vie et une restriction des opportunités d’études et d’emploi. Pour autant, l’aidance peut également être décrite comme gratifiante et apportant des bénéfices émotionnels et psychologiques pour l’aidant comme pour le proche aidé. Être aidant, c’est avoir un ensemble de responsabilités qui conduisent le jeune à développer des compétences et des stratégies pour faire face aux situations complexes qu’il rencontre et ainsi être en mesure de gérer les « crises ». Il développe donc une forte résilience, c’est-à-dire une capacité à surmonter les événements douloureux ou traumatiques, ainsi qu’une capacité à faire face aux défis qu’il rencontre. Être jeune adulte aidant conduit également à développer des compétences qui sont nécessaires pour devenir un adulte autonome comme savoir gérer son domicile, cuisiner ou encore gérer les formalités administratives. De plus, comme ces jeunes peuvent s’occuper de certains soins personnels (par exemple, administration de médicaments, aide à la toilette, aide à l’habillage), ils développent un sentiment de compétence et d’efficacité en leur capacité de prendre soin de l’autre. Ainsi, ils ont le sentiment d’être capables de prendre soin de l’aidé comme d’eux-mêmes. Le rôle d’aidant va aussi permettre le développement de compétences psychosociales comme l’empathie, l’écoute et la compréhension. Les jeunes adultes aidants sont plus sensibles et respectueux, et donc moins enclins au jugement que les autres jeunes. Ils présentent également une maturité émotionnelle plus importante. L’aidance pourrait contribuer à une perception de soi positive du fait des compétences développées et du sentiment d’efficacité perçu vis-à-vis des événements de vie qu’ils rencontrent. Et si, être aidant c’était une compétence à valoriser sur son CV ?

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