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Ella

Je suis tombée amoureuse de quelqu’un qui a plusieurs handicaps, physiques et cognitifs. Au début, je ne me rendais pas vraiment compte de ce que ça impliquait. Je me disais simplement que ça serait une relation dans laquelle j’allais devoir être plus douce qu’à l’accoutumée pour qu’il se sente accepté et compris. Grossière erreur. Suite à une décision commune, nous avons décidé de vivre ensemble. Je n’avais eu l’opportunité d’emménager avec lui que parce que je prenais une année de césure dans mon parcours scolaire. J’avais également déménagé pour l’occasion, dans une nouvelle région, loin de ma famille et de mes habitudes. Grâce à lui, j’avais trouvé un service civique non loin de notre lieu de vie, ce qui me permettait d’avoir une petite autonomie financière. Mais qui dit « vivre ensemble » dit aussi « prendre soin de notre lieu de vie ensemble ». 

La première fois que j’ai commencé à comprendre à quel point notre cohabitation allait être difficile, c’est quand je lui ai demandé de laver la vaisselle avec moi. C’est une tâche tout à fait banale pour la plupart des gens, alors quelle ne fut pas ma surprise quand il m’a dit qu’il ne savait pas la faire ! Ses troubles praxiques, qu’il a depuis la naissance, l’empêchent d’avoir une motricité fine et détériorent aussi sa perception spatiale. C’est comme si le monde physique était une autre dimension pour lui. Alors je lui ai montré une première fois les gestes pour laver la vaisselle. Puis une deuxième fois. Des dizaines de fois, en fait. Il avait beau persévérer, ses résultats étaient très maigres par rapport à l’énergie qu’il mettait à la tâche. Au bout de plusieurs mois, il réussissait enfin à le faire, approximativement. J’étais à la fois ravie qu’il ait réussi et terrorisée : Si cette seule tâche lui était si difficile, comment pouvais-je la lui imposer ? Comment pouvais-je espérer qu’il s’implique dans les tâches ménagères ? Au fur et à mesure, mes sollicitations le frustraient. Il devenait de plus en plus fréquent qu’il me laisse assurer les tâches seules parce qu’il ne voulait pas s’y confronter. Je m’épuisais progressivement, n’étant pas capable d’assumer à la fois le travail demandé lors de mon service civique et la charge mentale que représentait l’entretien de l’appartement et l’entraînement praxique de mon petit-ami. Je devais devenir de plus en plus subtile dans mes demandes : Si j’étais trop interventionniste et que je le sollicitais trop, il me disait que j’étais infantilisante. Si j’étais trop détachée, il me disait qu’il était débordé par la tâche et qu’il voulait que je la fasse à sa place.
Et puis, c’était souvent impossible d’en parler à mon entourage. Je recevais des remarques et conseils divers : « Sois forte », « Tu insistes trop, laisse-le souffler », « Tu devrais lui demander de faire plus », « C’est bien que tu lui apprennes tout ça, du coup tu peux le « modeler » comme tu le souhaites », etc. Rares étaient les personnes en mesure de m’écouter et aucune ne pouvait pleinement comprendre ma situation. Ma culpabilité grandissait, je me disais que j’étais bien faible d’être autant en difficulté alors que je n’étais pas celle qui devait composer avec autant de handicaps différents. Et puis au fond, c’est moi qui avais choisi cette situation. Il n’était pas un membre de ma famille, j’avais sciemment décidé de devenir sa petite amie et de vivre auprès de lui. J’ai fini par croire que je ne pouvais en vouloir qu’à moi-même et que je m’étais surestimée. 

Dans l’aidance, il est peu fréquent d’imaginer que l’aide, c’est aussi l’aide émotionnelle apportée à l’aidé. Pourtant, c’était la partie qui me donnait surprenamment le plus de fil à retordre. J’avais rencontré de nombreuses personnes ayant besoin d’être écoutées, d’être cajolées ou encore d’être rassurées. Mais quand il se sentait mal, il devenait muet comme une pierre, refusait le contact physique et se plongeait dans son addiction pour ne plus rien ressentir. J’étais parfaitement démunie devant ce genre d’attitude et je me sentais inutile sur tous les plans. J’étais déjà très anxieuse et j’atteignais des sommets. En me voyant aller de plus en plus mal, j’ai pris peur : Si je cède, qui pourra prendre soin de lui ? Et s’il prend soin de moi, est-ce qu’il sera lui aussi mon aidant ? Je ne pouvais pas lui imposer ça, je savais comme c’était difficile. 

Mais il a stoppé net mes doutes : Cette situation m’a permis de remarquer qu’il était aussi la personne la plus à même de m’accepter et de me comprendre. Il était patient, il connaissait mon fonctionnement et s’ouvrait à moi, me parlait davantage. Je réalisais que j’oubliais parfois que j’étais dans une relation amoureuse. On a fini par mettre en place des solutions, une organisation particulière pour qu’on puisse chacun faire correspondre nos besoins. Les choses se sont lentement améliorées, j’étais moins inquiète et lui plus autonome. Je prenais davantage de temps pour moi, je dramatisais moins les situations désagréables parce que je lui faisais confiance, même quand il n’arrivait pas à faire une tâche parfaitement. Parce que je savais qu’il pouvait la faire ou qu’il allait me demander mon aide s’il était vraiment bloqué. Cette relation est de loin la meilleure que j’ai eue, parce que j’ai appris ce qu’étaient vraiment la dévotion, le respect et la patience. J’ai pu identifier chacun de mes rôles dans cette relation et leurs limites respectives, pour mieux interagir avec mon petit ami et prendre soin de moi. On a décidé d’augmenter notre confort à tous les deux et de nous soutenir : D’ailleurs, on a installé un lave-vaisselle chez nous. 😊

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Un bénéfice de l’aidance ? Il est facile d’imaginer le fardeau de l’aidance dans le quotidien des jeunes. Aider quelqu’un, cela prend du temps et de l’énergie. Pour autant, n’est-il pas envisageable que cette aidance constitue une expérience positive ? Dans la littérature, les conséquences négatives de cette dernière sont largement étudiées et reportées. L’aidance est, entre autres, associée à une moins bonne santé mentale et physique, une moins bonne qualité de vie et une restriction des opportunités d’études et d’emploi. Pour autant, l’aidance peut également être décrite comme gratifiante et apportant des bénéfices émotionnels et psychologiques pour l’aidant comme pour le proche aidé. Être aidant, c’est avoir un ensemble de responsabilités qui conduisent le jeune à développer des compétences et des stratégies pour faire face aux situations complexes qu’il rencontre et ainsi être en mesure de gérer les « crises ». Il développe donc une forte résilience, c’est-à-dire une capacité à surmonter les événements douloureux ou traumatiques, ainsi qu’une capacité à faire face aux défis qu’il rencontre. Être jeune adulte aidant conduit également à développer des compétences qui sont nécessaires pour devenir un adulte autonome comme savoir gérer son domicile, cuisiner ou encore gérer les formalités administratives. De plus, comme ces jeunes peuvent s’occuper de certains soins personnels (par exemple, administration de médicaments, aide à la toilette, aide à l’habillage), ils développent un sentiment de compétence et d’efficacité en leur capacité de prendre soin de l’autre. Ainsi, ils ont le sentiment d’être capables de prendre soin de l’aidé comme d’eux-mêmes. Le rôle d’aidant va aussi permettre le développement de compétences psychosociales comme l’empathie, l’écoute et la compréhension. Les jeunes adultes aidants sont plus sensibles et respectueux, et donc moins enclins au jugement que les autres jeunes. Ils présentent également une maturité émotionnelle plus importante. L’aidance pourrait contribuer à une perception de soi positive du fait des compétences développées et du sentiment d’efficacité perçu vis-à-vis des événements de vie qu’ils rencontrent. Et si, être aidant c’était une compétence à valoriser sur son CV ?

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